CHAPITRE XVI

— Dame Polgara ! s’écria Ce’Nedra en écartant à la volée le rabat de toile. Dame Polgara !

— Qu’y a-t-il, Ce’Nedra ? fit la voix de Polgara dans l’obscurité de la tente.

— Barak et Anheg sont sur les murailles de la ville, répondit la princesse, affolée. Ils viennent de voir une armée murgo venir du sud.

Polgara sortit rapidement à la lueur du feu de camp. Elle tenait par la main le petit Mission qui dormait debout.

— Où est Beldin ?

— Je ne l’ai pas revu depuis hier soir.

Polgara leva le visage et ferma les yeux. Un instant plus tard, un bruissement d’ailes annonçait le grand faucon. Il se posa sur le sable, non loin des braises rougeoyantes, et Beldin reprit forme humaine en jurant comme un beau diable.

— Comment, mon Oncle, ont-ils réussi à venir jusqu’ici sans que vous les repériez ? demanda la sorcière.

— Il y a des Grolims parmi eux, grommela-t-il sans cesser de faire crépiter l’air de ses jurons. Les Grolims ont senti que je les observais, alors les troupes se sont déplacées de nuit, sous leur protection.

— Et le jour, où se cachaient-elles ?

— Dans les villages thulls, sans doute. Ce n’est pas ce qui manque dans le coin. Je ne me suis pas assez méfié, conclut-il en se remettant à pester.

— Inutile de jurer comme ça, mon Oncle, observa fraîchement Polgara. Ce qui est fait est fait.

— Ce n’est malheureusement pas le seul problème, Pol, annonça le sorcier. Une autre armée au moins aussi énorme vient du nord : des Malloréens, des Nadraks et des Thulls. Nous sommes pris en tenaille.

— Combien de temps cela nous laisse-t-il ? demanda Polgara.

— Pas beaucoup, répondit Beldin en haussant les épaules. Les Murgos ont du chemin à faire ; disons une heure. Les Malloréens seront là avant.

Polgara se mit à son tour à jurer avec ferveur.

— Allez tout de suite voir Rhodar, mon Oncle, dit-elle entre ses dents. Qu’il ordonne à Anheg de lever l’ancre avant que les Angaraks aient le temps de faire venir des catapultes et de détruire les vaisseaux au mouillage.

Le bossu hocha la tête et se pencha légèrement vers l’avant en incurvant les bras. Sa métamorphose s’amorça avant qu’il ait fini son geste.

— Olban, reprit Polgara, allez vite chercher messire Mandorallen et messire Hettar.

Olban lui jeta un regard surpris puis courut vers son cheval.

Durnik se laissa glisser du talus sur la petite plage.

— Il faut que vous partiez tout de suite, vos compagnes et vous-même, Dame Pol, déclara-t-il gravement. Il va y avoir du grabuge et ce n’est pas votre place.

— Je ne m’en irai pas, Durnik, rétorqua la sorcière avec une légère irritation. C’est moi qui ai commencé tout ça et j’en verrai la fin.

Ariana était retournée sous la tente dès qu’elle avait compris la situation. Elle en ressortit avec le gros sac de toile qui renfermait ses remèdes.

— M’accorderas-Tu, noble Polgara, la permission de prendre congé ? demanda-t-elle d’un ton professionnel assez sec. Au combat, les hommes sont blessés, et je dois m’apprêter à leur administrer mes soins. Cet endroit est par trop restreint et éloigné pour recevoir les blessés.

— D’accord, acquiesça Polgara après un rapide coup d’œil. Mais prenez garde à ne pas trop vous rapprocher des combats.

— Je vous accompagne, annonça Taïba en repoussant son capuchon. Je n’y connais pas grand-chose, mais vous m’apprendrez sur le tas.

— Assistez-les dans leurs préparatifs, Durnik, ordonna Polgara. Puis revenez ici.

Le forgeron hocha gravement la tête et aida les deux femmes à remonter le talus.

Mandorallen et Hettar arrivèrent sur ces entrefaites.

— Vous êtes au courant ? leur demanda aussitôt Polgara.

Mandorallen acquiesça d’un signe de tête.

— Avons-nous une chance de battre en retraite avant l’arrivée des forces ennemies ?

— Non, gente Dame, répondit le grand chevalier. Elles sont trop près. En outre, notre but est depuis le premier jour de faciliter le passage de la Mer du Levant aux vaisseaux cheresques. Nous devons retenir les Angaraks le temps que les navires soient hors de portée des engins de guerre ennemis.

— Je n’ai jamais voulu cela, fit Polgara avec colère en se remettant à vociférer.

Le Gardien de Riva et le général Varana rejoignirent Mandorallen et Hettar en haut du talus escarpé. Les quatre hommes mirent pied à terre et descendirent sur la petite plage.

— Nous avons donné l’ordre d’évacuer la ville et la majeure partie de la flotte lève l’ancre, annonça le Rivien de sa voix grave. Ne resteront ici que les vaisseaux nécessaires au maintien des ponts sur le bras sud du fleuve.

— Avons-nous encore le temps de réunir nos troupes sur l’une ou l’autre des rives ? questionna Polgara.

— Trop tard, Dame Polgara, répondit Brand.

— Nous allons être divisés par le fleuve, objecta-t-elle. Et séparément, nos forces ne seront pas assez puissantes pour affronter les Angaraks.

— Nous ne pouvons faire autrement, ma chère, reprit Varana. Nous devons tenir les deux rives pour donner le temps à la flotte de s’éloigner.

— Je pense que Rhodar s’est mépris sur la stratégie des Angaraks, avança Brand. Il était tellement sûr que Taur Urgas et ‘Zakath éviteraient l’un comme l’autre de perdre des hommes qu’il n’a même pas envisagé cette possibilité.

Le général Varana noua ses mains musculeuses derrière son dos et se mit à arpenter la petite plage en traînant la jambe.

— Je pense que je commence à comprendre la raison d’être de la colonne murgo que nous avons écrasée sur les hauts plateaux, déclara-t-il enfin, le visage creusé par la réflexion.

— Votre Honneur ? fit Mandorallen, perplexe.

— C’était un test pour s’assurer de nos intentions, expliqua Varana. Les Angaraks s’interrogeaient sur notre objectif. A la guerre, quand on tente une diversion, l’un des principes de base est de ne pas se livrer à un engagement sérieux. Cette colonne était un appât et nous l’avons gobé, hélas !

— Vous voulez dire que nous n’aurions pas dû l’attaquer ? souligna Hettar.

— Manifestement pas, acquiesça Varana en se rembrunissant. Nous avons dévoilé nos batteries en avouant implicitement que cette expédition n’était pas une diversion. J’ai sous-estimé Taur Urgas. Il a sacrifié un millier d’hommes pour savoir ce que nous mijotions. Apprêtons-nous maintenant à combattre, conclut Varana. J’aurais préféré que nous disposions d’un meilleur terrain, mais il faudra bien nous contenter de ce que nous avons.

Hettar jeta un coup d’œil vers le fleuve et son visage d’oiseau de proie prit une expression avide.

— Je me demande si j’aurai le temps de passer sur l’autre rive, fit-il d’un ton rêveur.

— D’un côté ou de l’autre, c’est pareil, non ? nota Barak, intrigué.

— Les Murgos sont en face, constata l’Algarois. Je n’ai rien, personnellement, contre les Malloréens.

— Ce n’est pas une affaire personnelle, Messire Hettar, répliqua le Tolnedrain.

— Pour moi, si, rétorqua Hettar d’un ton sinistre.

— Nous devons veiller à la sécurité de dame Polgara et de la princesse, observa Mandorallen. Peut-être pourrait-on les escorter jusqu’aux fortifications, en haut de l’A-pic.

— La région doit grouiller de patrouilles, objecta Brand en secouant la tête. Ce ne serait pas prudent.

— Il a raison, Mandorallen, reconnut Polgara. D’ailleurs, vous avez besoin de tous les hommes disponibles ici, ajouta-t-elle avec un coup d’œil au nord-est. Et puis il y a ça...

D’un mouvement de menton, elle leur désigna les nuages d’un noir d’encre qui s’accumulaient sur l’horizon, des nuées agitées de tourbillons, illuminées d’éclairs inquiétants.

— Un orage ? s’étonna le général Varana.

— Pas à cette époque de l’année, et sûrement pas dans cette direction. Les Grolims préparent quelque chose et ce sera mon combat. A vous de jouer, Messieurs. Si nous devons livrer bataille, fourbissons nos armes.

— Les vaisseaux lèvent l’ancre et les troupes quittent la ville, annonça Durnik en regagnant la petite anse avec Olban.

Le roi Rhodar arriva au galop. La sueur traçait des rigoles dans la suie qui souillait sa grosse face rougeaude.

— Anheg s’en va, leur confirma-t-il en descendant de cheval, effort qui lui arracha un grommellement.

— Et Fulrach ? s’inquiéta Brand.

— Il mène le gros des troupes sur la rive sud.

— Ne craint-il pas de dégarnir ce côté ? insinua courtoisement le général Varana.

— Le pont est trop étroit, répliqua Rhodar. Il faudrait des heures pour amener un nombre significatif d’hommes ici. Brendig a déjà mis une équipe en place pour miner les piles et le faire tomber avant l’arrivée des Angaraks.

— Pour quoi faire ? questionna Ce’Nedra.

— Thull Mardu est une position stratégique, Votre Altesse, lui expliqua le général Varana. Autant éviter que les Angaraks s’en emparent. Vous avez réfléchi à la tactique que vous allez adopter ? reprit-il en se tournant vers le roi Rhodar.

— L’idéal serait de donner à Anheg une demi-journée d’avance, répondit Rhodar. Le sol qui borde le fleuve devient marécageux à une vingtaine de lieues d’ici et les Angaraks ne pourront plus se rapprocher assez pour le menacer. Je pensais former une ligne d’infanterie traditionnelle  – les hallebardiers, les légions, les Sendariens et ainsi de suite  –, appuyée par les archers, et utiliser les Algarois pour harceler les flancs, les chevaliers mimbraïques restant en réserve jusqu’à ce que les Malloréens livrent le premier assaut.

— Si Votre Majesté veut bien m’excuser, ce n’est pas une tactique victorieuse, objecta le général Varana.

— Nous ne sommes pas là pour gagner, Varana, mais pour retarder les Angaraks d’une demi-douzaine d’heures avant de battre en retraite, lui rappela Rhodar. Je ne vais pas gâcher des vies humaines à tenter de remporter la bataille, d’autant que je n’ai aucune chance de vaincre. Hettar, poursuivit-il en se tournant vers l’Algarois, envoyez donc un détachement le long du fleuve, en aval. Dites-leur de déloger tous les Malloréens qu’ils trouveront sur la rive. L’importance de la flotte a peut-être échappé à ‘Zakath et Taur Urgas. Les Angaraks ne sont pas de bons marins ; ils n’ont pas dû réfléchir aux dégâts que pourrait faire Anheg dans la Mer du Levant.

— Pardonnez-moi, Majesté, reprit Varana, mais toute votre stratégie, même la flotte, ne constitue qu’une action de diversion.

— Justement, Varana, rétorqua Rhodar. Rien de tout ceci n’a d’importance, en fait. Ce qui compte vraiment, c’est ce qui se passera en Mallorée quand Belgarion arrivera à Cthol Mishrak. Allons, Messieurs, nous ferions mieux de nous préparer. Les Malloréens vont nous tomber dessus d’ici peu et j’aimerais que nous leur réservions le meilleur accueil.

Les nuages que leur avait signalés Polgara se dirigeaient vers eux à une vitesse inquiétante. C’était une masse grouillante de ténèbres violacées qui avançait, comme une monstrueuse araignée, sur les pattes crochues de ses éclairs, chassant devant elle un vent chaud qui ployait les herbes et fouettait sauvagement la crinière des chevaux. Au moment où le roi Rhodar s’apprêtait à affronter l’armée malloréenne, Polgara se dressa de toute sa hauteur sur la butte et regarda, le visage blême et les cheveux flottant au vent, approcher le nuage.

— Occupez-vous de Mission, Ce’Nedra, demanda-t-elle calmement. Ne le quittez pas d’une semelle, quoi qu’il arrive.

— Oui, Dame Polgara, acquiesça Ce’Nedra en tendant les bras à l’enfant.

Il vint aussitôt vers elle. Son petit visage grave ne trahissait aucune inquiétude. Elle le ramassa, le serra contre elle et posa sa joue contre la sienne.

— Mission ? fit l’enfant en tendant le doigt vers le nuage.

C’est alors que des silhouettes ténébreuses, vêtues de robes noires, portant des masques d’acier étincelant et de courtes lances à la pointe acérée, surgirent du sol, entre les rangs de l’armée. Sans réfléchir, un jeune chevalier mimbraïque plongea son sabre dans l’une des formes masquées. Il ne rencontra que le néant. Mais au moment où sa lame traversait l’ombre, la foudre s’abattit en crépitant, tel un serpent de lumière ondulant furieusement, sur la pointe de son casque. Le cavalier fut agité de spasmes, des tourbillons de fumée s’élevèrent des fentes de son ventail et il grilla dans son armure. Une lumière irréelle entoura l’homme et le cheval, la bête tomba sur les genoux, puis l’éclair disparut et le cavalier et sa monture s’écroulèrent, plus morts qu’un bloc de pierre.

Polgara laissa échapper un sifflement et s’adressa à ses hommes. Elle n’éleva pas la voix, mais on entendit ses paroles jusqu’aux derniers rangs de l’armée.

— Ne touchez pas les ombres, les avertit-elle. Ce sont des illusions provoquées par les Grolims. Vous n’avez rien à craindre tant que vous n’y touchez pas. Elles ne peuvent qu’attirer la foudre sur vous, alors ne vous en approchez pas.

— Mais Dame Pol, protesta Durnik, les troupes ne vont pas pouvoir avancer en ordre si les hommes doivent éviter les ombres !

— Je m’en occupe, répondit-elle d’un ton féroce.

Elle serra les poings et les leva au-dessus de sa tête. Son visage se figea. Elle se concentra intensément et articula un mot, un seul, en ouvrant les mains. L’herbe couchée par le vent s’incurva tout à coup en sens inverse, ployant sous la volonté de Polgara. Les silhouettes effleurées par ce champ de force semblèrent vaciller et se recroqueviller les unes après les autres, puis les illusions suscitées par les Grolims explosèrent sans bruit. Les dernières ombres volèrent en sombres éclats, loin derrière les derniers rangs de l’armée. Polgara paraissait à bout de forces. Elle serait tombée si Durnik n’avait pas bondi pour la soutenir.

— Ça va ? demanda le forgeron d’un ton angoissé.

— Ça ira mieux dans un instant, répondit-elle en s’appuyant contre lui. C’est épuisant.

Elle lui dédia un pauvre petit sourire et laissa retomber sa tête avec lassitude.

— Ils ne risquent pas de revenir ? s’enquit Ce’Nedra. Je veux dire, vous n’avez pas atteint les vrais Grolims mais juste leurs ombres, n’est-ce pas ?

— Oh, si, je les ai atteints, répliqua Polgara avec un petit rire las. Ces Grolims ne jetteront plus jamais d’ombre.

— Plus jamais ? hoqueta la petite princesse.

— Plus jamais.

Puis Beldin les rejoignit, porté par le vent qui lui retroussait les plumes.

— Nous avons du pain sur la planche, Polgara, bougonna-t-il sans attendre d’avoir retrouvé forme humaine. Il faut que nous fassions éclater la tempête qu’ils amènent de l’ouest. J’ai parlé avec les jumeaux. Ils s’occupent du côté sud. Nous prendrons ce côté-ci, tous les deux.

Elle lui jeta un coup d’œil interrogateur.

— Leur armée va avancer juste sous la tourmente, expliqua-t-il. Inutile d’essayer de la repousser maintenant. Ce serait trop compliqué. Nous allons plutôt éventrer les nuages par l’arrière afin qu’ils se déversent sur les Angaraks.

— Combien de Grolims s’activent sur cet orage, mon Oncle ?

— Qui sait ? répondit-il en haussant les épaules. Mais je peux te dire qu’ils sont entièrement absorbés par son contrôle. Si nous nous attaquons au même endroit tous les quatre en même temps, les pressions qui s’exercent à l’intérieur des nuages feront le reste.

— Nos hommes ne sont pas des enfants. Ils ne vont pas fondre à cause d’une petite tempête. Pourquoi ne pas la laisser passer, tout simplement ? demanda Durnik.

— Ce n’est pas une simple petite tempête, forgeron, répondit Beldin avec acrimonie, juste au moment où un gros objet blanc heurtait le sol, à quelques pas d’eux. Prenez quatre ou cinq de ces grêlons sur le coin de la figure et vous ne vous inquiéterez plus de l’issue du combat.

— Ils sont aussi gros que des œufs de poule ! nota Durnik, surpris.

— Et ils ne vont sûrement pas diminuer, lui assura Beldin en se retournant vers Polgara. Donne-moi la main. Je vais passer le signal à Beltira et nous frapperons tous en même temps. Tu es prête ?

Une avalanche de grêlons s’enfonçait dans le sol élastique. Un magnifique spécimen s’écrasa sur une pierre, volant en mille éclats. De l’armée émanait un crépitement assourdissant : les grêlons rebondissaient sur l’armure des chevaliers mimbraïques ou heurtaient avec fracas les boucliers que les fantassins avaient précipitamment relevés au-dessus de leur tête.

Puis la pluie se mit de la partie. Des trombes d’eau chassées par le vent s’abattirent sur la plaine en vagues furieuses, empêchant toute visibilité. Il était presque impossible de respirer. Olban bondit sur Ce’Nedra et Mission pour les protéger de son bouclier. Un gros grêlon lui heurta l’épaule, lui arrachant une grimace, mais son bras ne frémit pas.

— Encore un petit effort, Pol, nous y sommes presque ! hurla Beldin. Qui sème le vent récolte la tempête ! Qu’ils en bouffent un peu à leur tour !

Le visage de Polgara se crispa sous l’effort et elle manqua défaillir, mais elle joignit sa volonté à celle de Beldin et leurs pouvoirs mêlés se déchaînèrent sur les nuées en furie. Ces forces incommensurables se heurtèrent avec un bruit inouï et ce fut tout à coup comme si le ciel se déchirait. Des zigzags éblouissants strièrent l’air fumant. D’immenses éclairs s’entrechoquaient, très haut au-dessus d’eux, criblant le sol de boules de feu. Les trombes d’eau qui s’abattaient sur les corps calcinés se changeaient aussitôt en vapeur. Mais le Ponant n’était pas seul à déplorer des victimes.

L’immense orage avec ses pressions intolérables sembla se cabrer puis céda sous la volonté combinée de Polgara, Beldin et des jumeaux, sur la rive sud. Le nuage éventré déversa ses entrailles en plein sur les Malloréens. Une immense langue de feu balaya leurs rangs serrés, jonchant le sol de cadavres fumants. C’était la déroute chez les Grolims qui avaient, par leurs sortilèges, poussé le front orageux vers la rivière. Les éléments déchaînés se retournèrent aussitôt sur les Angaraks, les submergeant sous un déluge de pluie et de feu.

Du centre du terrible nuage qui planait sur leurs têtes surgirent des doigts de ténèbres, noirs, fuligineux, qui se mirent à racler la terre avec des hurlements atroces. Dans un sursaut convulsif, l’un de ces immenses entonnoirs tournoyants griffa le sol entre les rouges livrées malloréennes, ouvrant une tranchée de deux cents toises de large dans les rangs de l’armée ennemie. Des débris retombèrent de chaque côté de la colonne tourbillonnante qui avançait inexorablement, semant la destruction absolue sur son passage. Les vents insensés qui soufflaient dans cette tornade déchiquetaient hommes et chevaux, et des lambeaux d’armures, de tuniques rouges et pire encore se déversaient sur les Malloréens paralysés de terreur.

— Magnifique ! exulta Beldin en bondissant de joie.

Tout à coup, le son d’une immense trompe perça le tumulte. Les rangs serrés des hallebardiers drasniens et des légions tolnedraines s’ouvrirent devant les lignes malloréennes en désordre et Mandorallen surgit, son armure ruisselante, à la tête des chevaliers mimbraïques. Le choc fut terrible et fit un vacarme écœurant, ponctué de cris. Ecrasés sous la charge, les Malloréens démoralisés rompirent les rangs et ce fut la débâcle. Ils tentèrent de fuir, mais les Algarois s’abattirent sur eux par les flancs, leurs sabres hachant la pluie.

Mandorallen sonna sa trompe pour la seconde fois. Les chevaliers mimbraïques firent volte-face et repartirent au galop, abandonnant un immense désastre derrière eux.

Puis ce fut l’accalmie. La pluie se réduisit spasmodiquement et des coins de ciel bleu apparurent entre les nuages qui fuyaient très haut dans le ciel. L’orage des Grolims s’était dispersé sur les plaines du Mishrak ac Thull.

Ce’Nedra regarda de l’autre côté du fleuve. La tempête avait presque cessé, là-bas aussi. Les unités commandées par Cho-Hag et Korodullin donnaient l’assaut aux premières lignes de l’armée murgo en déroute. Puis la princesse scruta le bras sud du fleuve. Le pont constitué par les derniers navires cheresques avait lâché prise pendant la tourmente et il n’y avait plus à la place que de l’eau. Les dernières troupes fuyaient la cité par le pont enjambant le bras nord. L’un des derniers à traverser fut un grand Sendarien qui remonta aussitôt vers l’amont. Ce’Nedra reconnut Rundorig, l’ami d’enfance de Garion. Il pleurait à chaudes larmes.

— Oh, Maître Durnik ! dit-il entre deux sanglots en arrivant près d’eux. Doroon est mort.

— Que dis-tu ? s’exclama Polgara en relevant le visage.

— Doroon s’est noyé, Dame Pol, répondit Rundorig, et ses pleurs redoublèrent. Nous nous apprêtions à regagner la rive sud quand la tempête a rompu les cordes qui retenaient les vaisseaux et Doroon est tombé à l’eau. Il ne savait pas nager. J’ai essayé de le rattraper, mais il a sombré avant que j’arrive près de lui.

Le grand jeune homme enfouit son visage dans ses mains.

Le visage de Polgara devint d’un blanc crayeux et ses yeux s’emplirent de larmes.

— Occupez-vous de lui, Durnik, ordonna-t-elle au forgeron, puis elle se détourna et s’éloigna ployée par le chagrin.

— J’ai vraiment essayé, Durnik, balbutia Rundorig. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour m’approcher de lui mais il y avait trop de gens et je l’ai vu disparaître sous l’eau sans pouvoir rien faire.

Les larmes aux yeux, Durnik passa son bras autour des épaules du garçon éploré et le serra gravement contre lui.

Pourtant Ce’Nedra avait les yeux secs. Elle avait tendu la main à ces jeunes gens pacifiques, elle était allée les chercher chez eux, leur avait fait traverser la moitié du monde, et voilà que l’un des plus vieux amis de Garion était mort dans les eaux glacées de la Mardu. Son trépas pesait sur ses épaules comme un fardeau, mais elle n’arrivait pas à pleurer. Prise d’une terrible fureur, elle se tourna vers Olban.

— Tuez-les ! siffla-t-elle entre ses dents.

— Ma Dame ? fit Olban, bouche bée.

— Allez-y ! Prenez votre épée et tuez-les. Tuez tous les Angaraks que vous pourrez, Olban. Tuez-les pour moi !

Et là, enfin, ses larmes coulèrent.

Olban regarda d’abord la petite princesse en larmes puis la multitude des Malloréens qui battaient en retraite devant l’assaut mimbraïque et il tira son épée avec exaltation.

— Aux ordres de ma Reine ! hurla-t-il en courant vers son cheval.

Les coups de sabre des Algarois avaient beau mettre en déroute les premières lignes ennemies, il semblait y avoir toujours plus de Malloréens sur le champ de bataille. Les collines du nord furent bientôt couvertes d’hommes en tunique rouge, et on aurait dit que la terre saignait. L’offensive suivante fut pourtant menée par les Thulls. Les hommes en sarrau couleur de boue prirent leur position avec réticence, harcelés de coups de fouet par des cavaliers malloréens.

La stratégie malloréenne de base, grommela Beldin. ‘Zakath préfère envoyer les Thulls au casse-pipe et ménager ses forces en vue de sa propre campagne contre Taur Urgas.

— Qu’allons-nous faire maintenant ? demanda Ce’Nedra en relevant son visage ruisselant de larmes.

— Tuer des Thulls, répondit platement le vieillard difforme. Une ou deux charges mimbraïques devraient leur saper le moral. Les Thulls ne font pas de très bons soldats. Ils s’enfuiront à la première occasion.

Au moment où l’océan de boue des forces thulles se déversait vers les rangs serrés des hallebardiers et des légionnaires massés au bas de la colline, les archers asturiens qui se trouvaient juste derrière les fantassins levèrent leurs arcs et emplirent le ciel d’une nuée compacte de flèches longues d’une toise. En voyant fondre leurs compatriotes, ligne après ligne, les Thulls se dégonflèrent, et ce n’étaient pas les claquements de fouet et les cris hargneux des Malloréens qui allaient leur redonner courage.

Puis la trompe de Mandorallen retentit pour la troisième fois, les rangs de l’infanterie s’ouvrirent à nouveau, et les chevaliers mimbraïques donnèrent l’assaut. Les Thulls jetèrent un coup d’œil aux hommes et aux chevaux caparaçonnés d’acier qui fondaient sur eux et prirent la fuite sans demander leur reste, renversant et piétinant dans leur panique les Malloréens qui faisaient si bien claquer leurs fouets.

— Et voilà, le problème des Thulls est réglé, grommela Beldin en contemplant le carnage avec un rictus satisfait. ‘Zakath n’a pas fini d’engueuler le roi Gethell, je crois.

Les chevaliers mimbraïques reprirent position derrière l’infanterie, et les deux armées se regardèrent en chiens de faïence de part et d’autre du champ de bataille jonché de cadavres angaraks.

Tout à coup, un froid glacial descendit sur les épaules de Ce’Nedra et elle eut un frisson. Il n’y avait pas un souffle de vent, mais le soleil qui avait percé les lambeaux de nuages après la dispersion de l’orage suscité par les Grolims était sans chaleur aucune et de nébuleuses volutes de brume commençaient à s’élever du sol et de la surface sombre du fleuve.

— Polgara, lança Beldin avec un claquement de langue irrité, j’ai besoin de toi.

— Fichez-moi la paix, mon Oncle, répondit la sorcière d’une voix altérée par la douleur.

— Tu pleurnicheras plus tard, répliqua-t-il d’un ton hargneux. Les Grolims privent l’air de toute chaleur. Si nous ne provoquons pas tout de suite un courant d’air, il y aura bientôt un brouillard à couper au couteau.

— Vous ne respectez vraiment rien, n’est-ce pas ? accusa-t-elle en se tournant vers lui, le visage de glace.

— Pas grand-chose, admit-il, mais ce n’est pas la question. Si les Grolims arrivent à lever une nappe de brouillard, ces sales Malloréens puants nous marcheront sur le dos avant que nous les ayons vus venir. Allez, Pol ! Des gens se font tuer tous les jours. Tu feras du pathos une autre fois.

Il lui tendit ses mains noueuses, plus couvertes de protubérances que les racines d’un chêne millénaire.

Les écharpes de brume s’épaississaient. Elles se drapèrent sur les cadavres qui jonchaient le champ de bataille devant l’infanterie, les noyant dans un océan de blancheur opaque.

— Du vent, Pol, fit Beldin en lui prenant les mains. Tout le vent que tu pourras déchaîner.

Le combat qui s’ensuivit fut silencieux. Polgara et Beldin bandèrent leur volonté et la projetèrent au loin à la recherche d’une brèche dans la masse d’air inerte emprisonnant le brouillard accumulé le long du fleuve. Des remous agitaient la brume par à-coups et s’estompaient aussi vite qu’ils étaient nés.

— Plus fort, Pol, insista Beldin.

Sa vilaine face ruisselait de sueur tandis qu’il s’efforçait de rompre l’immobilité absolue de l’immense masse d’air.

Tout à coup, Polgara lâcha les mains du vieux sorcier.

— Nous n’y arriverons jamais comme ça, mon Oncle, déclara-t-elle, et ses traits creusés trahissaient son épuisement. Nous n’avons pas de prise. Que font les jumeaux ?

— Il ne faut pas compter sur eux, répondit le bossu. Imagine-toi que Taur Urgas s’est fait escorter par les grands prêtres de Rak Cthol, et les jumeaux en ont plein les bras.

— Nous opérons à trop courte distance, fit Polgara en se redressant. A la moindre petite brise que nous soulevons, une douzaine de Grolims se précipitent pour l’apaiser.

— Exact. Et alors ?

— Nous devrions essayer d’élargir notre rayon d’action, suggéra-t-elle. Mettons une masse d’air en mouvement loin d’ici, hors de leur portée, de sorte qu’elle arrive nantie d’une telle inertie qu’ils ne puissent plus l’arrêter.

— Je trouve ça très dangereux, Polgara, objecta Beldin en plissant le front. Même si nous y arrivons, ça nous mettra sur les genoux tous les deux et s’ils tentent autre chose nous n’aurons plus la force de réagir.

— C’est un risque à courir, mon Oncle, convint-elle. Mais les Grolims sont plutôt obtus. Ils feront tout pour protéger cette nappe de brouillard même quand ils n’auront plus aucune chance d’y parvenir. Ils finiront bien par se fatiguer, eux aussi. Peut-être trop pour essayer quoi que ce soit d’autre après.

— Je n’aime pas les « peut-être ».

— Vous avez une meilleure idée ?

— Pas pour l’instant, non.

— Eh bien, dans ce cas...

Ils joignirent à nouveau leurs mains.

Il sembla à la princesse que le temps s’étirait indéfiniment. Le cœur au bord des lèvres, elle regardait les deux sorciers debout, face à face, les mains dans les mains, les yeux clos, se projeter mentalement vers les hauts plateaux désertiques de l’ouest et unir leurs efforts pour attirer cet air brûlant dans l’immense vallée de la Mardu. Ce’Nedra avait l’impression de sentir le froid glacial de la pensée des Grolims peser de tout son poids sur l’air stagnant et s’opposer à toutes les tentatives de dispersion de cette blancheur impalpable, oppressante.

Polgara haletait, le visage crispé dans un effort surhumain. Beldin était penché en avant sous le fardeau de ses épaules contrefaites. On aurait dit qu’il tentait de soulever une montagne.

C’est alors que Ce’Nedra sentit une légère odeur de poussière et d’herbe sèche, parcheminée par le soleil. Ce fut très fugitif et elle pensa d’abord l’avoir imaginée. Puis la sensation revint, plus forte cette fois, et le brouillard se mit à tournoyer mollement. Mais les effluves se dissipèrent à nouveau, et avec eux le souffle d’air qui les avait apportés.

Polgara poussa un gémissement étranglé, et des tourbillons se formèrent dans le brouillard. Des gouttelettes de rosée commencèrent à perler sur l’herbe humide qui s’incurva légèrement, et les émanations poussiéreuses des hauts plateaux du Mishrak ac Thull devinrent plus fortes.

Alors que le vent se déversait dans la vallée, depuis les étendues arides de l’ouest, l’effort mental qui maintenait le brouillard en place sembla se teinter de désespoir, comme si les Grolims comprenaient la vanité de leurs efforts. Le réseau de pensée commença à se déliter et ses lambeaux se dispersèrent. Les Grolims les plus faibles avaient craqué, à bout de forces.

La brise prit de la force, devint un vent chaud qui rida la surface du fleuve et courba l’herbe de la prairie, et le brouillard commença à se dissiper, tel un immense organisme vivant condamné à mort par le contact du vent aride.

Ce’Nedra vit reparaître la cité de Thull Mardu, toujours en flammes, et l’infanterie qui s’étirait sur la plaine, le long de la rivière.

Le vent chaud, poussiéreux, souffla sur le brouillard, aussi immatériel que la pensée qui l’avait suscité, et le dispersa. Alors le soleil du matin troua les nuées, baignant le champ de bataille de sa lumière dorée.

— Polgara ! s’écria Durnik, affolé.

Ce’Nedra se retourna juste à temps pour voir Polgara glisser à terre, le visage exsangue.

La Fin de Partie de l'Enchanteur
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